LCB-FT : comment la guerre en Ukraine impose l’adaptation des dispositifs ?

Avec les sanctions édictées par la communauté internationale après l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, en particulier dans le domaine financier, toutes les juridictions devront être attentives à l’émergence de risques liés au contournement des mesures prises. Cette vigilance s’inscrit dans le cadre de la réglementation LCB-FT et impose des adaptations dans le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Revue des enjeux en matière de dispositif LCB-FT.

Première conséquence : tous les outils de criblage et d’analyse des comportements atypiques ont dû être recalibrés par leurs éditeurs en lien avec les principaux établissements financiers et compagnies d’assurances et leurs équipes de sécurité financière.

Recalibrer les outils de filtrage LCB-FT

Les outils de filtrage ont intégré dans leurs algorithmes les listes de sanctions provenant des Etats-Unis, de l’Union européenne ou du Royaume Uni. Ces sanctions visent aussi bien des personnes que des institutions. Elles consistent essentiellement à isoler la Russie du système financier international et à limiter, via le gel de leurs avoirs, les capacités d’action financière de personnalités russes, politiques ou non, proches du Kremlin.

Adapter les scénarios de comportement atypiques

En deuxième lieu, les scénarios de comportements atypiques ont également fait l’objet de modifications pour prendre en compte de nouveaux paramètres. Par exemple :

  • Clients russes communiquant des changements dans la propriété effective de leurs sociétés d’investissement privées à des membres de leur famille non russes ou binationaux ;
  • Demandes de transfert d’actifs entre membres de la même famille de nationalité russe ou binationaux ;
  • Conclusion d’accords de fiducie dans des circonstances qui pourraient permettre au propriétaire initial de conserver un contrôle indirect ou un avantage sur les actifs transférés.
  • Clients cherchant à transférer tous leurs actifs vers d’autres institutions financières et à clôturer leurs comptes ;
  • Clients domiciliés en Russie demandant à effectuer des transferts vers leurs comptes à l’étranger ;
  • Tentatives d’achat de titres russes sanctionnés, dont le prix a chuté de façon spectaculaire ;
  • Augmentation du volume d’alertes de surveillance des transactions résultant du fait que les clients russes et ukrainiens effectuent et reçoivent des transferts plus importants que d’habitude ;
  • Paiements effectués par l’intermédiaire d’une Fin Tech ayant des liens avec des investisseurs russes ;
  • Personnes russes fortunées qui figurent déjà sur les listes de sanctions internationales et/ou qui prévoient qu’elles pourraient devenir la cible de sanctions, transférant des actifs à des membres de leur famille et/ou à des associés proches tels que des employés ;
  • Changement d’adresse et de nom des entités russes un jour avant l’entrée des troupes russes en Ukraine ;
  • Changement de bénéficiaires effectifs ultimes, de la Russie à d’autres nationalités.

L’intégration de ces nouveaux scénarios ont considérablement augmenté le nombre d’alertes à traiter par les établissements financiers et leurs équipes de sécurité financière.

Mettre à jour en temps réel les listes de sanctions

Les banques et les assureurs les plus exposés sont bien entendu les plus touchés. La priorité consiste à mettre à jour les listes de sanctions afin de ne pas valider de transactions ni de contracter avec des personnes ou entités sous sanction ou embargo. L’absence de mise à jour a déjà donné lieu par le passé en France à des sanctions du régulateur.

Le gel des avoirs pratiqué systématiquement par les établissements financiers des démocraties occidentales a réorienté les entités et les personnes sous sanction vers des pays où la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme est beaucoup moins établie. Ayant constaté des transferts de fonds importants provenant de Russie vers des banques de la région, le Groupe d’action financière (GAFI) a ainsi placé en mars 2022 les Émirats Arabes Unis dans sa liste grise des pays luttant contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Renforcement des dispositifs de LCB-FT

Ces bouleversements sont de nature à entraîner un renforcement du traitement de la LCBFT au sein des établissements financiers en France. Les procédures et les modes opératoires devront évoluer rapidement au risque de se faire sanctionner par le régulateur, pour des motifs tels que l’absence de déclaration de soupçon ou la non mise à jour des dossiers de connaissance clients (KYC). La cartographie des risques de LCBFT et les rapports réglementaires comme le Rapport d’audit et de Contrôle Interne LCBFT devront également évoluer pour intégrer ces nouveaux risques.

En plus des conséquences sur les dispositifs de LCB-FT, le paquet de sanctions prises contre la Russie a des effets sur l’activité elle-même des acteurs financiers en Russie, jusqu’à remettre en cause leur simple présence dans ce pays. Ainsi, la Société Générale a décidé de céder Rosbank, anticipant ainsi une nouvelle salve de sanctions susceptibles de toucher sa filiale russe. D’autres établissements Européens exposés au risque pays comme Unicredit ou Intesa San Paolo réfléchissent à maintenir leur présence en Russie.